Le 8 décembre 1965, jour de la clôture du deuxième concile œcuménique du Vatican, arrive Enzo Bianchi, étudiant à Turin, à Magnano. Il est en compagnie de quelques amis catholiques qui, depuis deux ans, se réunissent régulièrement autour de lui pour réfléchir et partager, forts de la conviction qu’il faut vivre dans la pauvreté, l’écoute et le partage, pour servir au mieux leur foi. Enzo Bianchi a choisi ce lieu solitaire à l’écart de la ville pour commencer une vie communautaire fraternelle. En octobre 1968, deux jeunes catholiques, Domenico Ciardi et Maritè Calloni, un pasteur réformé de Suisse, Daniel Attinger, et une sœur de la communauté protestante de Grandchamp décident de rejoindre Enzo Bianchi pour commencer une vie communautaire.
Le 22 avril 1973, après l’approbation de la Règle de Bose, intervenue lors du chapitre du 4 octobre 1971, la profession des sept premiers frères et sœurs a lieu devant les représentants des Églises chrétiennes dont ils proviennent et auxquelles ils continuent d’appartenir. « Bose est une forme de monachisme sécularisé », analyse le frère Ghislain Lafont, moine de l’abbaye de la Pierre-qui-Vire. Les frères et sœurs ne portent l’habit que durant les célébrations. La clôture est discrète : des moines sont toujours à l’accueil, d’autres partagent le repas, et on en voit aller et venir, au gré des travaux des champs ou d’autres activités, sans que l’on ressente une frontière entre visiteurs et visités. Dans ce lieu où passent chaque année près de douze mille personnes, on parvient aussi à vous offrir, midi comme soir, une cuisine savoureuse.
L’accueil est dans chaque détail, propreté, espaces préservant la tranquillité, salles de lecture, et soin porté au cadre de vie : des sculptures contemporaines dans les jardins, des tableaux aux murs, des bouquets. L’esthétique fait partie de l’accueil, l’art contemporain est une forme d’ouverture au monde… La communauté est établie dans le hameau originel, un groupement de petites fermes traditionnelles rassemblées autour de cours.
Une chapelle était installée dans une ancienne étable aux murs épais et voûtés, peu propices à l’accueil d’une communauté croissante et de visiteurs de plus en plus nombreux. Construire une nouvelle église s’est donc avéré indispensable. L’église constuite est dépouillée, d’une grande austérité. Les murs restent sobres, propres à accueillir des chrétiens de tradition catholique, orthodoxe ou protestante : « Simplicité, dépouillement, sobriété, indique le frère Bianchi. Le désir de simplicité accompagne notre vie. Dans le triduum pascal, lorsque la croix de l’abside est également enlevée, cette sévérité essentielle est encore plus perceptible. Nous avons souhaité laisser l’espace central dégagé, sans fermer le chœur, afin de garder un volume libre aussi bien entre le chœur et la parole qu’entre l’assemblée et la parole. L’ambon est placé au milieu du chœur, où moines et moniales se font face, signe de l’importance liturgique de la Parole de Dieu. Les prières sont naturellement dirigées vers l’abside, un vaste lieu qui veut ainsi exprimer la gloire de Dieu. »
La nef unique de la nouvelle église ne possède pas de fenêtres latérales, la lumière n’entrant que par les trois baies de l’abside, ouvertes sur la nature et le monde. Deux bandeaux latéraux percés sous le toit permettent aux rayons du soleil de tomber sur le chœur et les moines, comme si la lumière participait, elle aussi, à la célébration. Il existe également un oculus percé au-dessus de la porte d’entrée. Lors de la fête de saint Benoît, le 21 mars 1999, l’église monastique œcuménique de Bose a été bénie par l’évêque Massimo Giustetti.
Les frères Michele Badino et Emanuele Borsotti présentent le projet de création des vitraux : « Le père Kim a visité le monastère de Bose début juin 2015, à l’occasion du XIIIe colloque sur l’architecture et la liturgie, organisé par la communauté monastique en collaboration avec l’Office national pour les Biens culturels ecclésiastiques de la conférence épiscopale italienne, ayant pour titre : « Architectures de la lumière. Art, espaces, liturgie ».
Pendant ce séjour, le père Kim s’était arrêté à plusieurs reprises dans l’église de la communauté monastique : ainsi il considéra le jeu de la lumière sur les murs au fil des heures, et proposa de réaliser de nouveaux vitraux pour cet espace liturgique, dans lequel il y avait déjà trois vitraux du père Costantino Ruggieri, deux rectangulaires dans les bandeaux latéraux et un rond sur le mur du portail d’entrée. Au moment de son départ de Bose, le père Kim avait donc convenu avec le prieur du monastère de réaliser un nouveau vitrail rond, à placer près des fonts à l’entrée de l’église. Dans les mois suivants, cependant, le père Kim lui-même a voulu réaliser trois autres vitraux pour la fenêtre triplet de l’abside ; de toute évidence, cet espace de gloire absidal avait été très évocateur aux yeux du peintre, qui voulait donc célébrer la Trinité à travers la triple lumière filtrée par la couleur.
À Bose, en entrant dans l’église, le regard se dirige immédiatement vers la fenêtre triplet de l’abside : des fenêtres qui orientent le regard vers les montagnes. Durant l’année, il y a des moments où l’on peut voir les montagnes, si le nuage ou le brouillard ne les voilent pas. Et depuis décembre 2015, c’est justement dans cet espace absidal, renvoyant à un dépassement eschatologique, que les vitraux du père Kim filtrent la lumière et la colorent. Il existe une continuité entre les deux points de vue : la nature s’entremêle avec le travail de l’homme, l’harmonie du paysage avec la puissance de l’art. Dans les deux cas, la perception est celle d’une paix qui enveloppe ceux qui entrent dans l’église, comme s’il s’agissait de l’étreinte d’un ami que l’on retrouve après un long moment. Alors que nous nous arrêtons dans l’église, le silence n’est rompu que par l’écoulement de l’eau dans les fonts à l’entrée de l’église. Mémoire des fonts baptismaux et signe évocateur de la vie qui coule.
La lumière parvient aux fonts par un œil rond, ouvert sur le pronaos de l’église. Ce vitrail rond du père Kim relie l’intérieur et l’extérieur, la lumière du soleil et la pénombre de l’église. Pendant la journée, il arrive que le soleil perce la fenêtre et projette sa lumière, filtrée par le vitrail, sur l’eau des fonts. Comme le disait saint Thomas d’Aquin en parlant de l’eau : sua diaphanitate est luminis susceptiva, unde competit Baptismo inquantum est fidei sacramentum. À ce moment-là, on peut pleinement apprécier la force que le vitrail assume en devenant diaphane pour laisser entrer la lumière. Le fond très clair du vitrail, les signes vivants et précis de la couleur peuvent évoquer de nombreuses images bibliques : de l’Esprit qui couvait sur les eaux, lors de la création du monde, à l’Esprit qui souffle sur les os desséchés, leur donnant vie, en passant par la colombe que Noé envoya sur la terre qui réaffleurait après le déluge. Ces images évoquées nous rappellent la vie qui fleurit, la paix qui revient, l’équilibre retrouvé, une tension qui, dans le travail artistique, est toujours présente dans ce dialogue continu entre la nature et les œuvres de l’homme, entre le paysage naturel et les œuvres d’art. Si le premier sentiment de ceux qui arrivent et entrent dans l’église peut être l’étonnement, celui qui accompagne la sortie est la paix.
À travers l’organisation de la nef, les rythmes des piliers et des poutres de la toiture, à travers la lumière qui filtre par les fenêtres et colore l’espace, les poids et les angoisses ne sont certes pas supprimés, mais ils peuvent trouver un ordre et nous paraître un peu moins lourds à porter.
Le 3 décembre 2015, lorsque les verriers étaient en train d’installer les derniers vitraux du père Kim dans l’abside de l’église, la communauté – par la plume du prieur – adressait une lettre à l’artiste, où l’on peut lire : « C’est avec joie que je vous écris au cœur de l’Avent, de ce temps d’attente lumineuse du Seigneur qui vient, tandis que, à l’église, les lampes allumées dans la nuit enveloppante nous rappellent notre vocation de veilleurs et de pèlerins de l’espérance. J’ai été ravi en voyant ces couleurs sur les parois blanches de notre église, ces traces qui trans-colorent du jaune, au rouge, au bleu. Ainsi, nous attendons que le brouillard se lève, afin que la lumière puisse transfigurer les polychromies nuancées des verres : quand le soleil embrase la fraîcheur de l’air matinal en le rendant tiède, c’est alors que nous pouvons admirer vos créations dans tout leur éclat. Les mots me manquent pour vous manifester tous mes sentiments et mes impressions, car l’effroi du beau nous laisse toujours sans parole : alors, les yeux grands ouverts, nous portons la main à la bouche et, dans le silence, nous laissons parler notre stupeur, notre émerveillement, qui devient reconnaissance et gratitude. Merci, donc, d’avoir accepté de semer un grain de lumière dans notre église ; de cette façon, vous nous aidez à donner un nouvel élan à notre prière, lorsque nous levons les yeux vers l’Auteur de toute beauté, guidés par la lumière qui transperce vos verres, dans l’ensemble de ces “signes visibles employés par la liturgie pour signifier les réalités divines invisibles’’ (SC 33) ».