Marseille est depuis l’Antiquité un des grands ports majeurs de la Méditerranée. Si son essor commercial date du XIXe siècle, quand elle devient une cité industrielle et négociante prospère, c’est aujourd’hui la deuxième ville de France, et depuis 2016 le siège de la métropole d’Aix-Marseille-Provence. Particularité de la ville, Marseille s’est construite en intégrant progressivement les villages périphériques. Saint-Just, l’un de ceux-là, se situe dans le XIIIe arrondissement, le plus peuplé de la cité phocéenne. C’est dans ce quartier que l’école Lacordaire est installée depuis 1928. Créé à Marseille dix ans auparavant, l’établissement connaît en effet un tel succès que les dominicains décident de se porter acquéreur d’une propriété à Saint-Just, qui, tout en étant proche de la ville, est alors encore à la campagne.
Sur ce domaine de cinq hectares, va alors se développer l’une des écoles réputées de la ville, qui accueille aujourd’hui quelque mille cinq cents élèves du cours primaire jusqu’à la classe terminale. Un établissement inscrit dans une histoire de cent ans marquée par celle des dominicains et particulièrement par le père Henri-Dominique Lacordaire, à qui on doit le retour de l’Ordre en France. La chapelle de l’école, d’abord en bois, a été reconstruite dans les années cinquante, puis rénovée dans les années quatre-vingt. À l’approche de 2016, année du huit centième anniversaire de la fondation de l’Ordre des Prêcheurs et du centenaire de l’école, le directeur, Pierre-Jean Collomb, a voulu marquer cet événement en la réaménageant et en la dotant de vitraux.
Pour accueillir ses nouveaux vitraux, la chapelle n’a pas changé de volume, même si l’extérieur a été quelque peu modifié : la façade rappelle désormais les églises qu’on découvre au détour d’une ruelle à Rome. La cloche d’origine de la chapelle, qui date de l’après Première Guerre mondiale, précieusement conservée, a trouvé son clocheton. Les murs végétaux de part et d’autre de la chapelle font le lien entre la matière et la nature, entre le spirituel et le naturel, l’édifice étant aujourd’hui intégré aux autres bâtiments de l’école.
À l’intérieur, l’espace a été repensé ; la suppression de la poutre et du rideau central a permis de retrouver un volume plus spacieux et harmonieux. Les peintures, noir au fond et au plafond, gris et blanc sur les autres murs et sur la structure porteuse en forme d’arcs, puis le décapage des boiseries, ont achevé l’aménagement en lui redonnant une unité et un certain élan. Les vitrages extérieurs, du verre martelé jaunâtre avec des ogives peintes en noir, ont été remplacés par des verres d’un seul tenant, sablés en partie centrale afin de densifier la lumière diffusée, les vitraux étant installés côté intérieur, devant ces nouveaux vitrages. Le directeur de l’école confie : « Les vitraux apportent non seulement la lumière mais aussi la couleur ! De tout temps, à l’école Lacordaire, nous avons souhaité témoigner auprès des élèves, du Bien, du Vrai, du Beau ! Je me souviens de ce que le père Kim me disait en janvier 2015 : pour lui, des vitraux doivent être transparence. Ils doivent participer à la libération de l’âme et permettre de voir la beauté de Dieu.
Pour lui, tout son art doit être d’aller des ténèbres à la lumière. Ces vitraux, avec leurs couleurs, leurs formes, leurs tracés, sont autant de traits d’union entre l’Homme et Dieu. Le vitrail élève l’âme de celui qui prie, et tourne les cœurs vers la lumière, vers Dieu. Les vitraux du père Kim invitent à la contemplation et révèlent la beauté de la Création. » Il poursuit, en s’adressant au père Kim, dans son discours prononcé lors de l’inauguration : « Vous pourrez mieux l’exprimer que moi, mais je peux dire que vous refusez toute catégorie pour votre peinture. Dans votre peinture n’apparaissent ni formes, ni figures. Cela peut dérouter, notamment les habitués de l’art figuratif. Vous l’avez compris : cette peinture n’est pas pure esthétique. Elle est aussi inspirée ! Elle est création ! Aux personnes qui s’étonnent de vos réalisations, notamment dans un documentaire qui vous a été consacré, père Kim, vous renvoyez à la nature, vous invitez à observer par exemple le cœur d’une tulipe dans lequel vous voyez “un monde, un univers incroyable”, ou bien le tronc d’un arbre, et de préciser : “Si je peins cela, les gens me diront : qu’est-ce que ça représente ?”, et de sourire, en disant simplement “Je peins la réalité !” Père Kim, vous êtes un créateur ; vous participez à la création ; vos mains et vos pinceaux sont des prolongements de l’œuvre de création divine. Vous dites le mystère de la nature et celui de Dieu. Ne cherchons pas d’explications ! Car l’essentiel n’est jamais “expliqué”. Je pense que les vitraux du père Kim illuminent notre chapelle, mais aussi notre école et le cœur de tous ceux qui la fréquentent. »
L’inauguration et la bénédiction de la chapelle rénovée ont eu lieu le 21 mai 2016, en présence de frère Loïc-Marie, prieur provincial de la province de Toulouse, qui déclarait : « […] Les vitraux du père Kim sont une prédication du Mystère de Dieu, le prêcheur n’est pas englouti sous l’homme de l’art, j’espère ne pas trahir votre propos, cher frère. Vous êtes fils de Dominique quand vous voulez nous dire quelque chose par vos œuvres. Quand Dieu se révèle à nous, il passe par des mots humains qui, à la fois, disent qui il est, et qui, aussi, nous le cachent. Quand nous fêtons en ces jours la Trinité, nous recevons de la révélation que notre Dieu est un en trois personnes, il est une communion d’amour et de connaissance si intense que les trois personnes divines ne font qu’un sans annihiler leur être propre. On ne peut comprendre ce Mystère à la seule lumière de notre intelligence et de notre raison. Ce mystère nous est donné dans la foi. Il s’agit pour nous de nous en approcher jour après jour dans la foi, et avec sa grâce d’y entrer pour connaître ce Mystère comme de l’intérieur au-delà des mots. C’est en fréquentant Dieu que l’on peut comprendre Dieu en se laissant enseigner par lui. Les vitraux que le père Kim a réalisés pour cette chapelle, comme l’ensemble de son œuvre, s’inspirent, me semble-t-il, de cette logique de la Révélation. Montrer le Mystère avec des moyens humains, provoquer notre œil, et par suite notre intelligence à entrer dans ce qu’il veut nous dire. Il faut laisser la couleur et la forme venir à nous, pour y trouver le sens que vous avez voulu y mettre, et peut-être nous parler au-delà de ce que vous avez voulu y mettre. Vous qui pouvez passer chaque jour en cette chapelle, vous avez de la chance, puisque vous allez pouvoir scruter ces vitraux chaque jour, voir comment ils sont affectés par la lumière et se transforment par l’intensité du soleil. Les couleurs chaleureuses choisies nous introduisent, à mon avis, dans le mystère de l’amour intense de Dieu pour nous. Ils illustrent l’intense amour qui unit le Père et le Fils, l’Esprit saint qui vient embraser nos cœurs. Et comme par surcroît, si l’on peut dire, elles sont les couleurs du soleil de Provence ! Ces vitraux sont là pour nous aider dans notre chemin de foi. Ils montrent l’affinité entre la quête de l’artiste et celle du croyant. Il était aussi comme naturel que, dans un lieu destiné à la transmission comme une école, l’art soit présent dans une forme éminente, lorsqu’il éclaire, porte et conduit à l’expérience spirituelle. On comprend bien alors la place capitale que cette chapelle prend dans votre école, lieu de culture, de transmission, de spiritualité, quel symbole elle représente pour une transmission intégrale d’une éducation véritablement humaine. Mais, elle est plus qu’un symbole, elle est réellement le lieu où Dieu se tient présent, se révèle, se donne et vous attend plus que jamais. »
Les dix-neuf vitraux ont été réalisés à partir des maquettes du père Kim par l’atelier de Wilhelm Derix, installé à Taunusstein dans la région de Francfort, en Allemagne. Tous ont été posés à l’intérieur de l’édifice, fixés devant les fenêtres existantes, à l’exception de deux verrières posées de part et d’autre de la porte d’entrée. Ces dernières encadrent deux statues représentant la Vierge Marie portant l’Enfant Jésus et saint Joseph. À l’exception de la rosace, tous les vitraux reposent en partie basse sur des consoles de bois, et ont été fixés devant les fenêtres en ogive par des pattes métalliques pratiquement invisibles. Ils se présentent ainsi tels des tableaux lumineux flottant dans l’espace. Leur alignement, en partie inférieure et supérieure, apporte une nouvelle atmosphère à la chapelle, harmonieuse et douce.